Qui sommes-je? Qui suis-nous?

Ces formules énigmatiques, empruntées à mon collègue et ami Fabrice Vavre, traversent l’essentiel de mes travaux.

  • Qui sommes-je ? Quelle multitude de gènes, cellules, partenaires symbiotiques, compose les « individus » biologiques ? Et dans quelle mesure ces différents degrés d’organisation constituent eux aussi des individus, c’est-à-dire des niveaux de sélection opérant, porteurs d’adaptations qui leur sont propres, potentiellement délétères aux autres échelles ?
  • Qui suis-nous ? Dans quelle mesure le collectif, de la fourmilière à l’écosystème, devrait-il lui aussi être perçu comme individu en devenir ?

Au gré des collaborations, ces questionnements ont donné lieu à divers projets de recherche, brièvement décrits ci-dessous. Les relations symbiotiques, abordées notamment par des approches de génomique évolutive chez les arthropodes, y occupent une place prépondérante, au côté de la modélisation, la didactique et l’épistémologie.

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AU FIL DE L'EAU...

L’individu, souvent, nous saute aux yeux : vous et moi, mon chat, cet oiseau qui passe...

  • Mais l’évidence, parfois, se dérobe. Ce champignon, ou son corps sous-terrain ? Ce peuplier, ou tous ses clones, cette forêt tout entière ? Cette bactérie, ou ce biofilm ? Cette fourmi stérile, ce petit organe à six pattes, ou sa fourmilière ? Ce puceron, et ce symbiote intracellulaire, ou la nouvelle unité qu’ils composent ? Vous et moi, ou ces éléments hétéroclites, et pour la plupart égoïstes, qui constituent nos génomes ? Ou nos innombrables cellules, et la ménagerie de notre microbiote ?
  • À la lumière de la symbiose, du conflit et de la coopération, l’histoire du vivant devient une histoire d’associations et de dissociations, une histoire de changements d’échelles. Les cellules s’assemblent pour former des organismes multicellulaires, où l’hérédité est réglée à la baguette par les strictes lois de Mendel, mais les occasions de s’y dérober ne manquent pas. De nouvelles échelles émergent, par association, sans que les échelles antérieures ne disparaissent tout à fait. De nouveaux « niveaux de sélection » prennent le contrôle, de nouveaux « individus » émergent, mais la reproduction sexuée ou le transfert horizontal sont autant d’occasions pour les éléments qui les composent d’exister encore « pour eux-mêmes », de constituer eux aussi des niveaux de sélection efficaces, et à ce titre, des échelles de description pertinentes pour « comprendre » le vivant, pour révéler, derrière les structures, des fonctions.
  • Mes travaux de recherche s’inscrivent dans cette perspective, dans ces questionnements. Ils apportent parfois des bribes de réponses mais consistent essentiellement (je le constate à travers ce manuscrit) à questionner les questions elles-mêmes, à les inspecter sous tous les angles. Ils portent sur la symbiose, sur Wolbachia, dont les stratégies d’invasion égoïstes défient l’ima- gination, même si ces bactéries intracellulaires sont parfois essentielles, si elles peuvent deve- nir de leur hôte le « meilleur ennemi ». Ils portent sur le transfert horizontal, cette transmission de matériel génétique entre différentes lignées évolutives, notamment entre différentes es- pèces d’insectes, des papillons et leur parasitoïdes, ces prédateurs de l’intérieur, ces Aliens. Mes travaux portent aussi sur la nature de l’hérédité, sur les possibles limitations d’un modèle, celui de la génétique, dont la puissance explicative pourrait masquer d’autres formes d’héré- dité, peut-être trop instables pour peser lourd dans l’évolution, mais peut-être pas. Enfin, mes travaux portent sur une hypothèse, celle d’une évolution biologique qui dépasserait ses fron- tières, d’une sélection naturelle qui pourrait être à l’œuvre en dehors du vivant que nous con- naissons, dans d’autres systèmes physiques ou chimiques, à d’autres échelles temporelles ou spatiales, en d’autres lieux, ou peut-être ici même... mais serions-nous seulement capables de les reconnaître ? Pour l’heure, cette exploration se heurte à un obstacle, un problème de poule et d’œuf où le concept d’individu se fait à nouveau central : sans individus, pas de variation héritable, pas de sélection naturelle, pas d’évolution ; mais sans évolution, pas d’adaptations, pas de « parties fonctionnelles d’un tout », pas d’unités de sélection, pas d’individus... Quelle forme pourrait prendre une (méta)théorie de l’évolution qui échapperait à ce paradoxe, une théorie évolutive « de l’évolution elle-même », qui traverserait la biologie et la physique, en expliquant, sans s’y référer, l’émergence de l’individu ?


THÈMES DE RECHERCHE

Nous cherchons à tester l’hypothèse selon laquelle les parasitoïdes, notamment via des virus domestiqués, constitueraient des vecteurs prépondérants de transferts horizontaux.

De toutes les lignées de bactéries symbiotiques, Wolbachia est sans doute à la fois la plus abondante et la plus diverse en termes d’implications évolutives. Sa transmission verticale maternelle l’a menée vers des stratégies d’invasion très particulières, souvent bénéfiques aux femelles (plus précisément, à la lignée cytoplasmique, transmise par les femelles) et au contraire délétères pour les mâles.

Wolbachia a toujours occupé une place centrale dans nos travaux, notamment concernant sa dynamique épidémiologique, à l’échelle des communautés d’arthropodes, ses conséquences évolutives, et l’architecture génétique de l’incompatibilité cytoplasmique.

Aussi puissante soit la génétique pour expliquer l’évolution, quelle pourrait être la contribution des autres modes d’hérédité aux déplacements des populations dans un paysage adaptatif ?

L’enseignement de la biologie évolutive est réputé difficile. Au-delà des raisons idéologiques, ces difficultés sont révélatrices d’un difficile rapport à l’incertitude dans l’enseignement des sciences, qu’il convient de questionner.

Si, dans une perspective évolutive, l’individu est conçu, de manière récursive, comme fruit d’une association d’individus d’échelle inférieure, comment a émergé la plus petite échelle, la première ?

Quelles ont été les premières unités de sélection, les premières étincelles de vie ? Comment définir et décrire leurs propriétés, en conjuguant nécessairement des concepts biologiques et physico-chimiques ? Où commence l’individualité, et avec elle l’évolution par sélection naturelle ? Dans l’hypothèse hasardeuse où de telles unités de sélection pourraient exister en dehors du vivant, dans d’autres systèmes physico-chimiques, comment les reconnaître ?


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