Portrait d'une chercheuse récompensée par la médaille de bronze du CNRS
Du microbiote des babouins urbains d’Afrique du Sud au génome des punaises de lit, en passant par les souris des villes et les mécanismes de la sélection naturelle, Laure Segurel tisse des récits évolutifs à travers les génomes. Depuis 2020, elle mène ses recherches au Laboratoire de Biométrie et Biologie Évolutive (LBBE) à Lyon, où elle s’implique dans plusieurs projets transversaux autour de la biodiversité, de l’adaptation et de la santé. Une dynamique pluridisciplinaire que vient saluer cette année la médaille de bronze du CNRS.
« Ce que j’aime, c’est déchiffrer notre histoire évolutive à partir des génomes. Un génome, c’est un trésor d’informations qui ne demande qu’à être exploré, comme une fenêtre ouverte sur le passé. » Une phrase qui résume son approche scientifique : faire dialoguer les données moléculaires avec les modes de vie, les environnements, et les trajectoires évolutives des espèces.
Des projets ancrés dans notre époque
Aujourd’hui, la chercheuse participe à plusieurs projets structurants mis en place au sein du LBBE, chacun en lien avec des grandes questions de notre temps : l’adaptation des espèces au changement environnementaux comme l’urbanisation, la cohabitation avec la faune sauvage et les liens entre génétique, microbiote et santé.
Le concept One Health, transversal et collectif, irrigue sa démarche. « On ne peut pas comprendre la santé humaine et animale sans s’intéresser à la question de l’environnement. Prédire les trajectoires évolutives des espèces nécessite forcément de caractériser comment nos environnements, notamment anthropiques, vont évoluer. »
Parmi les projets où elle contribue, celui sur les babouins d’Afrique du Sud, mis en place par Virginie Rougeron du laboratoire REHABS franco sud-africain, interroge l’impact de l’urbanisation sur leur microbiote intestinal : les individus qui se nourrissent en ville présentent-ils une composition bactérienne différente ? Autre exemple, porté par Sabrina Renaud : les souris sentinelles, étudiées pour comprendre comment les espèces s’adaptent aux contraintes liées au milieu urbain. « Cela parle aussi de nous : Quelles pressions évolutives l’urbanisation exerce-t-elle sur les êtres vivants ? »
Un troisième projet initié par Julien Varaldi s’intéresse à la punaise de lit, parasite de la chauve-souris à l’origine, qui s’est spécialisée sur l’humain : comment s’est-elle adaptée, génétiquement, à ce nouvel hôte ?
Enfin, un projet ANR (Agence national de la recherche) qu’elle coordonne et qui démarrera à l’automne 2025, s’intéresse à un processus évolutif dont la prévalence est encore mal connue : la sélection balancée, une forme de sélection naturelle qui, au lieu de réduire la diversité génétique, la maintient voire l’augmente. Grâce à des simulations et à l’analyse de données issues de plusieurs espèces (primates, oiseaux, mouches, papillons), elle cherchera à détecter ces formes subtiles de sélection.
Remonter le fil jusqu'aux origines
Si ses recherches actuelles croisent évolution, conservation, et santé, elles s’enracinent dans un questionnement plus ancien, qu’elle résume ainsi : « Comment les humains s’adaptent-ils à un monde qui change ? »
Recrutée au CNRS en 2013, elle commence alors à explorer un nouveau terrain : le microbiote. Elle met en place une étude comparative sur le sujet, contrastant habitants de villes et de villages au Cameroun. Résultat : des compositions bactériennes différentes, mais pas forcément moins diversifiées en ville. Un équilibre complexe entre pression infectieuse dans les zones rurales et pression métabolique (diabète, allergies, cancers) dans les zones urbaines.
Avant cela, elle mène un postdoctorat à Chicago en 2010, sur la diversité génétique des chimpanzés. Ces travaux marquent un premier tournant vers une génomique comparative plus large.
Mais son goût pour l’évolution et la diversité remonte encore plus loin, à sa thèse menée au Musée de l’Homme, en anthropologie génétique. Elle y interroge les structures sociales humaines en Asie centrale : comment les contraintes géographiques, culturelles ou linguistiques façonnent les mariages, les migrations, et donc les génomes ? Elle compare alors éleveurs et agriculteurs, pour identifier des traces d’adaptation aux nouveaux régimes alimentaires et mieux comprendre l’origine de certaines maladies métaboliques.
Au départ, pourtant, c’est par la biologie qu’elle entre en sciences. Mais rapidement, l’objet biologique ne suffit plus. Ce qu’elle cherche, ce sont les histoires cachées : celles des groupes humains, des lignées, des espèces et de leurs interactions avec l’environnement.
Le LBBE, terreau d'histoires évolutives
Installée au LBBE depuis 2020, Laure Segurel y trouve un écosystème scientifique en résonance avec sa démarche : interdisciplinaire, ancré dans les enjeux contemporains, attentif à la complexité des trajectoires évolutives. Les projets s’y construisent à plusieurs voix, et la génomique y dialogue avec la modélisation et l’écologie.
Cette médaille du CNRS, plus qu’une distinction individuelle, met en lumière un collectif de recherche. Un laboratoire où les histoires racontées par les génomes rencontrent celles des milieux, des comportements et des pressions anthropiques. Et où chaque séquence d’ADN devient un nouveau chapitre de notre histoire commune.
« Je suis comme une archéologue du vivant, j’essaie de comprendre comment tout s’est noué, en espérant que cela nous éclaire aussi par la suite ».