Létiolement programmé du CNRS est un symptôme du dédain pour la recherche publique

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La campagne annuelle de recrutement de chercheurs et chercheuses au CNRS est lancée ce mardi 4 décembre. Le nombre de recrutements proposés est en net recul : 250 postes au lieu de 300 lors des campagnes précédentes. L'année même où l'on entend célébrer les 80 ans du CNRS, c'est un bien funeste signal qui est adressé aux jeunes scientifiques, à la nation et au reste du monde sur l'importance accordée en France, aujourd'hui, à la recherche ; et le traitement réservé par le gouvernement aux universités et autres établissements de recherche n'est pas plus favorable.

Cette diminution des recrutements est calibrée, nous dit-on, pour assurer un strict remplacement des départs en retraite prévus. Compte tenu des autres départs permanents de l'organisme (notamment du fait de recrutements par des universités ou d'autres employeurs académiques en France ou à l'étranger), elle conduira à une diminution des effectifs de chercheurs et chercheuses au CNRS de l'ordre de 80 par an, comme l'a d'ailleurs admis Antoine Petit, PDG de l'organisme, lors d'une rencontre récente avec les présidentes et présidents des instances d'évaluation.

Chaque année, un quart des départs (80 sur 330 environ) ne seraient donc pas compensés par l'arrivée de nouvelles recrues. Or, depuis dix ans, les effectifs du CNRS ont déjà diminué de plus de 1 200 ( 5 %). Les directions précédentes de l'organisme avaient limité la baisse des effectifs de chercheurs et chercheuses à 350 personnes « seulement » au cours de cette période, mais au détriment des emplois d'accompagnement et d'appui à la recherche ( 850 personnes) et des autres domaines d'action de l'organisme : soutien aux laboratoires, programmes de recherche, grands équipements, ou encore financements de thèses et de postdoctorats. Et ce qui est proposé au CNRS, dans ce contexte, c'est de réduire ses effectifs de chercheurs et chercheuses à un rythme deux fois plus rapide.

« Le gouvernement prétend considérer la recherche comme un investissement d'avenir. Pourtant, il la traite exclusivement comme une source de dépenses à optimiser »

Cette politique désastreuse organise l'étiolement progressif de la recherche publique française. Pire : en pénalisant de manière ciblée les jeunes chercheuses et chercheurs, elle entame d'autant plus fortement la capacité de la communauté scientifique nationale à explorer des domaines de recherche nouveaux, à « dépasser les frontières » des savoirs établis comme le proclame avec enthousiasme le logo du CNRS ! et à apporter sa pleine contribution aux défis de connaissance auxquels sont confrontées les sociétés contemporaines en matière technologique, environnementale, politique ou sanitaire Ajoutons qu'à l'ère de la « post-vérité » et de la prolifération des « faits alternatifs » et autre fake news, le moins que l'on puisse dire est que l'Etat pourrait être mieux inspiré que de persister à affaiblir la recherche publique.

Cet étiolement programmé n'a pourtant rien de fatal. Par exemple, les entreprises (surtout les plus grandes) bénéficient annuellement de près de 6 milliards d'euros d'aide de l'Etat au titre du crédit impôt recherche, dispositif dont l'efficacité en matière de financement de la recherche est régulièrement mise en cause par des voix autorisées aussi diverses que celles de la Cour des Comptes, de parlementaires et même d'experts sollicités par le ministère en charge de la recherche La réaffectation d'un ou deux pourcents de cette somme au CNRS restaurerait ses capacités d'action et d'ouverture de nouveaux fronts de recherche, tout en lui permettant de retrouver progressivement les effectifs qu'il avait encore à la fin des années 1990. Et quelques pourcents supplémentaires pourraient être prélevés au bénéfice des universités et autres établissements d'enseignement supérieur et de recherche sans risque de fragiliser la recherche industrielle nationale.

Une situation réversible

Le dédain pour la recherche publique symbolisé par cet affaiblissement programmé ne contredit pas seulement les discours gouvernementaux ; il va également à l'encontre des intérêts de la France en minant progressivement un domaine dans lequel, grâce à un soutien appuyé de la nation dans les dernières décennies du XXe siècle, les réalisations françaises sont encore aujourd'hui d'un niveau remarquable quels que soient les indicateurs considérés. Le gouvernement prétend considérer la recherche comme un « investissement d'avenir ». Pourtant, prolongeant hélas sur ce plan l'action de ses prédécesseurs, il la traite exclusivement comme une source de dépenses à « optimiser ». Il serait grand temps qu'il mette ses décisions et ses arbitrages en accord avec la vision qu'il proclame !

Les présidentes et présidents des sections et commissions interdisciplinaires du Comité national de la recherche scientifique, instance d'évaluation attachée au CNRS, et des jurys d'admissibilité des concours CNRS.